Extrait du magazine Spéléo Magazine n°46

L’expédition Kalimantan 2003 se termine. Nous sommes le 26 mai 2003, il est 10 heures. Nous prenons la route ou plutôt la piste direction le massif de Kongbeng où une cavité recèle un Bouddha que nous voulons connaître avant de renter en France.

Par Serge Caillault
Photos Kalimanthrope ~ Mai 2003 – Luc Henri Fage / Serge Caillault

Le paysage change. La forêt a disparu, complètement rasé par le travail de l’homme. Elle est remplacée par une sorte de savane jaunâtre qui s’étend à perte de vue.

Au loin nous apercevons le massif où nous nous dirigeons telle une île ou un phare dans l’océan herbeux ; un peu comme le fameux rocher rouge d’Australie. Peut-être que le massif servait d’indicateur mystique (?) pour nos lointains ancêtres indonésiens.    Nous avons quelques difficultés à repérer notre chemin à chaque intersection de piste. Les indications manquent, pourtant la grotte était un haut lieu touristique avant les événements dramatiques d’il y a quatre ans (400 morts) qui ont marqué la fin du tourisme à Bornéo. La piste se rétrécit peu à peu mais nous conduit toutefois à son terminus : devant un joli porche où coule un ruisseau.

On prépare les caméras et les appareils photographiques, les frontales ; directions le Bouddha. J’enjambe le cours d’eau. Grimpe le petit raidillon. Bifurque à droite et trouve une entrée en conduite forcée de 8 par 3 m de haut. Le sol est jonché de détritus en tout genre : bouteilles en plastique, cannettes de coca, papiers gras, etc.

L’ambiance devient glauque, d’autant que le sol, noir de guano, n’invite pas à la gaieté. Tant de route pour ça ! Jupri (notre guide) nous accompagne jusqu’au Bouddha, du moins ce qu’il en reste. Deux blocs de pierre sculptés de 50 centimètres de côté recouvert de mousse verdâtre dans un muret de pierre disjointe. Je suis gagné par la déception et le dégoût. Déception car j’avais imaginé un Bouddha imposant, envoûtant d’une dizaine de mètres de haut, trônant au centre d’une grande salle souterraine, éclairé par un rayon de soleil ! Dégoût, parce que j’ai le sentiment très fort que l’endroit a été pillé, saccagé, détruit. Bref il y régne une atmosphère de sacrilège.

Malgré tout, nous photographions les restes du Bouddha. Cette séance nous permet de nous habituer aux lieux et de poursuivre les images avec l’éclairage solaire qui joue dans la cavité par les ouvertures disposées à des hauteurs différentes.


Arrêt sur lac de guano !

Nous nous dirigeons ensuite vers une nouvelle cavité que notre expédition précédente n’avait pas eu le loisir d’explorer. C’est une énorme conduite forcée d’environ deux cents mètres de long, percée d’ouvertures, ce qui prouve que la galerie suit de très près la falaise extérieure. Des milliers d’énormes chauves-souris virevoltent en poussant des cris stridents. Elles ont une envergure que nous estimons à 80 centimètres.

Nous arrivons sur une sorte de lac de guano où Jupri nous prévient qu’au fond, sur la paroi de droite, un énorme serpent rampe vers une niche rocheuse. J’ai beau écarquiller les yeux, je ne vois rien. Je ne me sens plus très rassuré. Jupri en éclaireur avance en paroi gauche. Nous le suivons prudemment. Il s’enfonce dans cette sorte de marécage de « merde ». Nous arrêtons et déclarons unanimement : « arrêt sur lac de guano ». Libres à tous ceux qui veulent poursuivre l’exploration de la grotte ! Première émotion suivi aussitôt d’une seconde en apercevant à quelques centimètres de nos jambes d’énormes criquets sautillants dont le corps a la taille de mon pouce si ce n’est plus. Sortons reprendre notre souffle !

Nous suivons la falaise et rejoignons une entrée en hauteur repérée par Jupri mais elle débouche sur la grotte que nous venons de visiter. Retour à notre point de départ. Il reste la plus grande cavité, en développement, à visiter, environ 400 mètres, topographiée par l’équipe Kalimanthrope d’août 2002. Nous hésitons. Est ce bien nécessaire de la connaître ? 400 mètres, c’est vite fait. Avoir parcouru tant de kilomètres pour être ici, autant en profiter pour ne pas laisser de place à un quelconque regret.


Nos sens sont en alerte
Nous pénétrons une nouvelle fois sous terre. La galerie est sombre. Nous marchons sur un épais tapis de guano où grouillent des myriades de cloportes brillants et rougeâtres. Cette fois-ci, ce sont des milliers de petites chauves-souris qui virevoltent autour de nous.
Certaines nous frôlent le visage. Nous ne voyons rien. Nos sens sont en alerte. Nous arrivons en tâtonnant à la base d’une verticale qui débouche sur le plateau quelque 60 mètres plus haut. La galerie continue, toujours aussi noire. Nous progressons toujours à l’aveuglette. Soudain, une bestiole d’une dizaine de centimètres courant sur de longues pattes très fines (un scutiger) passe devant nous. C’est joli ! Mais Luc me précise aussitôt que l’insecte est dangereux. Petit à-coup cardiaque. Je regarde plus précisément où je pose mes pieds. Nous en voyons encore. Heureusement, ces animaux ont peur de nous et ont tendance à fuir.
Nous débouchons sur un second puits rejoingant la surface, plus vaste, plus imposant. Nous l’estimons à une centaine mètres. La lumière du jour éclaire en totalité sa base, une bonne cinquantaine de mètres de diamètre. Nous attendons Jupri qui est parti rechercher un bouchon d’objectif perdu par Luc dans la conduite forcée. Tam (notre second guide) nous a rejoint, tout sourire, pratiquement sans éclairage.
Je m’imprègne de cette ambiance pour moi si particulière de la spéléologie tropicale. Tout est en mouvement. Les chauves-souris hurlent dans la verticale. Le sol instable est habité de petites bêtes toujours en déplacement. Je suis sur le qui vive ? N’y a-il pas un serpent caché dans un recoin ou une de ces créatures dont il faut se méfier non loin de mon siège ? Rien n’est vraiment reposant. Pourtant j’admire cette verticale que j’aimerais descendre dans cette ambiance fantasmagorique.
Jupri rapporte l’objet perdu. Nous allons observer rapidement la fin de la grotte qui s’ouvre sur une troisième verticale beaucoup moins spectaculaire que les précédentes. Nous ne nous attardons pas et faisons un demi-tour.
De nouveau nous marchons délicatement dans notre galerie obscure où même le petit projecteur cinéma de Luc à de la peine à transpercer la pénombre. Pénombre qui aujourd’hui m’oppresse tant il faut être vigilant.
Surgi de nulle part, apparait une sorte de scolopendre style grosse gourmette d’acier orangé, de vingt-cinq centimètres de long, avec deux cornes jaunes sur la tête et un dard également jaune. On me prévient instantanément : « il est mortel » ! L’appréhension est palpable ! Le cœur s’accélère. Dans le coin traînent également quelques scutigères. J’ai le sentiment d’être cerné par des dangers mobiles. Vivement la sortie… Luc photographie. Je tiens le second flash pour le contre jour. Cela grouille à quelques décimètres de nous. Un seul souhait sortir, sortir au plus vite. Il faut se contrôler surtout quand Luc, qui a le chic, nous averti qu’il a vu une fois ce type de scolopendre faire un bon de trois mètres en avant !!! Rester le plus zen possible. Ne pas détaler sans précautions pour fuir tout ce beau monde. Photos également du scutigère et pendant que nous y sommes du criquet géant qui saute et parfois touche le pantalon. Frissons immédiat. Nous quittons ce lieu inhospitalier.

Nous voilà maintenant à la base du second puits où le soleil pénètre (photo de couverture) en un faisceau de toute beauté qui illumine la paroi cupulée. Le spectacle est grandiose. Nouvelle émotion. Re séance photographique tout en restant toujours vigilant sur la faune.

Un dernier tronçon de galerie avant la sortie définitive mais nouvel arrêt, cette fois-ci devant un serpent d’un bon mètre (peut-être deux) posé sur un bloc au milieu du passage. Un vivipare que nous n’avions pas vu à l’aller !!! Personne n’avait encore observé cette espèce sous la terre. Est-ce un serpent volant ? Photos. Je tiens toujours le flash en me cachant plus ou moins derrière mon guide. On ne sait jamais. Courageux mais pas franchement téméraire !

Enfin, le porche et la sortie après trois heures de sensations fortes, diverses et variées.

Il est déjà 15 heures bien entamé. Nous picorons avec Luc dans notre sachet de riz sans grand enthousiasme. Il a repéré un éventuel abris sous roche susceptible de receler du silex taillé, situé à six ou sept mètres de haut, accessible par une escalade que Jupri réalise sans problème. Effectivement, c’est un site important qui est trouvé et qui nécessitera une véritable fouille archéologique.

Il est grand temps de partir direction Bungalon. La fatigue que je ressens est équivalente à une bonne exploration dans le Vercors. Je suis surpris par cette fatigue saine et agréable. Une journée éprouvante qui se conclut spéléologiquement parlant sur un véritable bonheur. La spéléo tropicale est vraiment particulière…

La route chaotique chahute. Il est minuit quand nous déchargeons le matériel du véhicule. La journée est terminée mais pas encore finie ! Nous trions tout le matériel de l’expédition. Nous conditionnons celui qui reste sur place pour la prochaine fois. Nous préparons nos sacs. La paye de nos porteurs et guides est également faite. Nous offrons le reste de la nourriture à Tam et Jupri. Une dernière douche, il est deux heures du matin, nous nous couchons.

Le levé est prévu pour 6 heures à l’aurore…

Direction Balikpapam, puis la France.

Cous trouverez d’autres informations sur Le site de Kalimanthrope (http://www.kalimanthrope.com)