
Extrait d’article de Spéléo Magazine n°43
Depuis huit ans, un gros travail de fond a été entamé dans les canyons réunionnais. Cette expérience de terrain, dans une activité encore jeune et excentrée de ses origines métropolitaines a permis de relativiser nombre de contes et légendes réunionnais. L’expédition dans Bras Mazerin en est le dernier exemple en date.
La Réunion s’est forgée une image d’exception au travers d’une » île intense « . Les médias et leur propension au sensationnel ont pérennisé l’idée d’un terrain de jeu de haut niveau, là où il n’y a en fait que des particularités locales. La météorologie n’est pas plus imprévisible ici qu’ailleurs. Il suffit simplement d’adapter les parcours à la saison. Les dangers des mises en charge inhérents à l’activité sont principalement liés à la saison des pluies et surtout aux aléatoires mi-saisons (début et fin de saison des pluies). Il n’est pas plus difficile ici qu’ailleurs d’équiper des descentes ou lignes dans l’actif. Il suffit simplement de poser judicieusement les ancrages afin qu’ils résistent à la saison des pluies et surtout aux cyclones.
Seuls quelques collecteurs se modifient radicalement chaque année par le déplacement d’énormes blocs ou d’effondrements. La piètre qualité de certains basaltes semblait un frein à l’ouverture de lignes plus modernes et plus logiques. Les essais de différentes chevilles d’ancrage ont permis de trouver, nous semble-t-il » l’arme absolue » ou presque. Dès lors l’engagement en ouverture est moindre puisque l’on est quasi certain de pouvoir fixer un point d’ancrage.
Le Trou de Fer n’est plus considéré comme un parcours abominable. Il a été démystifié depuis longtemps. Des descentes nouvelles, franches et ludiques, un équipement et une façon de progresser adaptée font qu’il n’existe plus d’exploit à tenter. Le Trou de Fer est devenu une classique qui se descend en une journée. Il en est de même pour Takamaka 1, Bras Magasin, etc.
Ce travail de fond est concrétisé par l’élaboration d’un topo guide réactualisé chaque année : les » Topocanyon Ricaric « . La conséquence de cette démarche globale évolue depuis deux ans vers l’ouverture ou la réouverture de canyons réunionnais réputés extrêmement difficiles voire » abominables « . Ces trajets aquatiques délaissés deviennent alors des classiques et le Trou de Fer n’est plus l’unique fleuron de l’Île de la Réunion, accessible à tous.
Quand on communie régulièrement avec le Trou de Fer, chaque fois c’est la même émotion lorsqu’on arrive au troisième cassé : c’est la magnificence qui se dégage du décor. Au fond du cirque rocheux, on aperçoit nettement une cascade au pouvoir d’attraction irrésistible. Cette chute qui se précipite dans le vide du Trou de Fer, c’est l’arrivée de Bras Mazerin.
L’attente :
Descendre cette cascade, et ce que l’on entrevoie parfois comme des petits trésors cachés dans la partie supérieure, est un projet de longue date. Toutefois, à la Réunion, les semaines font sept jours, les journées 24 heures et les réalités du quotidien ont leurs lots de contraintes…
Face à un potentiel d’aventure hors norme pour un si petit bout de caillou perdu dans l’océan Indien, on est parfois obligé de repousser des plaisirs, forcés de s’oxygéner de façon homéopathique. Bras Rouge depuis le Piton des Neiges et Bras Magasin seront donc ouverts en 2001, avant Mazerin. L’année 2002 sera donc la bonne.
Le repérage en ULM avec Alain du secteur des Passagers du Vent nous permet d’avoir une idée précise des principaux obstacles que nous auront à franchir. Le prévisionnel d’ancrages et d’équipement s’estime en conséquence.
Le chemin d’accès est repéré. Puis une journée d’équipement du cassé d’entrée permet d’acheminer une partie du matériel et d’installer les trois premiers relais. Bras Mazerin est, ce jour-là, en crue et les conditions météo sont exécrables : pluie, vent et froid sont au rendez-vous. La beauté des orgues basaltiques de 50 mètres de haut, drapées par la cascade qui se propulse dans le vide, compense à peine l’énorme rhume que l’on est en train d’attraper. Je regrette d’avoir privilégié le matériel d’équipement au détriment de la combinaison Néoprène…
Lors de la remontée sur corde des premiers rappels, j’ose espérer que le temps nous sera plus favorable lors de l’expédition proprement dite. C’est donc, deux minables canyonistes frigorifiés, au petit moral, qui rentrent se refaire une santé, au chaud dans l’Ouest. Quel est l’imbécile qui a dit qu’à la Réunion il fait toujours chaud ?
1 heure 30 de marche d’approche dans la forêt primaire en guise d’échauffement pour notre petit groupe composé de quatre personnes : Roussel Tiroumalé, Christophe Sauvagnac, Dominique Durand et Émeric Beaucheron.
Il est toujours délicat de constituer une équipe pour ce genre d’aventure. Le réservoir de pratiquants ayant le niveau technique, l’esprit d’entraide et la disponibilité n’étant pas exponentiel, nous ne serons que quatre au lieu des six initialement prévus. Chacun aura donc 40 à 45 kilogrammes à porter et ce malgré les cordes de 8 et 7 mm que nous avons privilégiées. Deux perforateurs identiques sont de la partie car lors de l’ouverture de Bras Rouge les Hauts, un perforateur était tombé en panne dés le forage et ses six kilogrammes d’accumulateurs n’étaient pas compatibles avec la seconde machine… Il paraît que nous tirons toujours les bonnes leçons des mauvais souvenirs… Notre tranquillité d’esprit est donc passée par l’investissement d’un second perforateur et d’un quatrième accumulateur. Les surprises seront quand même au rendez-vous ! Dès le quatrième relais, il apparaît évident que les goujons inox double expansion ne sont pas l’idéal dans un basalte de cette qualité. Le premier goujon planté, foire instantanément. Heureusement nous n’avons pas mis tous nos œufs dans le même panier et la variété de la soixantaine d’ancrages embarqués devrait nous permettre d’improviser.
La journée d’équipement lors du précédent repérage nous permet de franchir le cassé d’entrée rapidement (une heure). Une longue marche facile dans les blocs d’environ 450 mètres nous mène à la superbe cascade suivante. L’ambiance de la ravine va crescendo. On trouve deux anciens points d’ancrage en rive droite. C’est émouvant après tant d’années et aussi loin de la métropole de retrouver écrit » LE Mesnil » au travers d’un anneau de spéléo…
Le mieux est l’ennemi du bien
La ligne du sixième relais est équipée rive gauche afin d’être dans l’actif et de profiter du surplomb, idéal pour les frottements de corde et la protection des ancrages lors des crues. Le mieux est l’ennemi du bien ! on l’oublie trop souvent.
Le satané ancrage supplémentaire que je veux placer (pour bien positionner le futur cadre en présentation extérieure) nous coûte deux mèches coup sur coup. Je rage et maudis Hilti avec ses mèches qui perdent leur bord d’attaque sans prévenir. Rester calme. Cela n’avance à rien. Il faut absolument que ça passe avec la 3e mèche usagée prise à tout hasard (on n’est jamais trop prévoyant !).
Plus qu’une mèche aux performances douteuses, un portable qui ne capte nul part, un basalte qui rend le perfo grabataire et on n’est même pas rendu au cassé du Trou de Fer… Il y a bien la pochette à spits de secours pour finir à la main mais cette hypothèse ne réjouit personne. La dernière mèche DOIT tenir et l’on se doit de ne pas la perdre !
Petite pause, on se refait un moral, inutile de se poser des problèmes avant qu’ils n’existent. Je reprends la topographie, Domi sa caméra, Roussel dévrille, Christophe déséquipe, tout roule. Chacun s’occupe et la bonne humeur revient vite devant la beauté du paysage suivant. L’encaissement qui mène à la cascade de 68 m nous pose des œillères. Le septième relais (R7) impose les premiers déviateurs du parcours, pour être certain d’attraper le bombé prometteur en contrebas du huitième relais.
Celui-ci atteint, c’est la surprise d’une cascade d’une grande pureté esthétique. On va de surprise en surprise et le Trou de Fer que l’on commence à entrevoir au loin en sera, c’est sûr, l’apothéose. Les appareils photos crépitent, la caméra tourne, la topographie se dessine et l’ultime mèche semble vouloir nous accompagner jusqu’au bout. Le moral remonte alors que je materne à l’excès ce petit bout de ferraille torsadée de 10 mm de diamètre.
Il est 14 h 30 et nous sommes tous en bas du R8. Le soleil est de la partie et on commence à croire que deux jours d’expédition suffiront au lieu des trois prévus.Quelques toboggans plus loin, un nouvel encaissement très marqué s’amorce. On flaire que ce resserrement des parois va nous enfermer jusqu’au sommet du cassé du Trou de Fer. Le bivouac étant idéal au départ de l’encaissement, décision est prise d’installer le camp pendant que Christophe et moi-même partons en reconnaissance. Bien nous en prend. Cette gorge profonde est bien l’accès au Trou de Fer mais rien ne permet de le voir venir.
R9, R10 et R11 sont équipés avant de remonter sur les cordes laissées en place pour le lendemain. Les deux éclaireurs que nous sommes retournent à un bivouac de rêve. Il est 18 heures ce 10 septembre 2002 et on en a pris plein les yeux. La nuit sera pleine d’images superbes, sans oublier celles inachevées entrevues dés R10. Le plus beau est devant nous… Le lendemain, l’aube donne de la consistance aux rêves. Aujourd’hui on les réalise…
À 9 h 30 le perfo tourne au R12 après une bise d’encouragement à LA mèche ! Les radios sont branchées, seule la caméra décide de ne pas être de la partie et Domi peste en touchant tous les boutons. On se contentera des photos. La vue est époustouflante ! Même les hélicoptères ne peuvent pas voir le Trou de Fer sous cet angle. Décidément, c’est au-delà de ce que nous soupçonnions.
12 h 30, le leader repose les pieds sur terre en bas du cassé du Trou de Fer. Derrière, ils déséquipent au ralenti pour profiter pleinement de l’ambiance. On fait les comptes. La cascade fait 270 m, on est cassé mais la banane qui nous traverse la tronche vaut tous les maux de reins. Au fond du Trou, c’est la fête. Gros repas, pastis et pinard en guise de clôture à l’entrée du corridor. On abuse de l’instant alors qu’il est décidé de sortir ce soir.
À 15 heures on remballe et on gobe le corridor dans l’euphorie. Deux heures plus tard on est à l’îlet Bras de Caverne au pied du chemin de sortie. Là le portable passe et on peut prévenir les intimes du succès de l’expédition avec un jour d’avance. Le » Vrai Trou de Fer » est maintenant accessible à tous…
Le parcours nous semble, à tête reposée, plus complet, plus technique et plus beau que le Trou de Fer classique par Bras de Caverne. Cette course a été réalisée en une journée en situation d’encadrement la semaine suivante. La cascade Mazerin (320 mètres) vient d’être sautée en Base Jump avec une équipe de trois parachutistes emmenés par Émeric : voir news sur le site www.canyonreunion.com
Descriptif : Canyon Bras Mazerin – Trou de Fer
Cette course peut se réaliser en un jour toutefois il paraît préférable d’en prévoir deux pour l’apprécier pleinement. Le bivouac au fond du Trou de Fer est dès lors le mieux placé pour répartir équitablement l’effort. Comme dans la voie de Bras de Caverne (Trou de Fer classique), il est recommandé de s’engager dans le premier cassé de Mazerin avec un débit quasi nul car les encaissements en aval doivent être impressionnants par fort débit…
Contrairement au Trou de Fer par Bras de Caverne, la néoprène dans Mazerin s’enfile dés le premier jour à la fin de la marche d’approche : lac d’accès au Relais 1. Bras Mazerin devient donc le chaînon manquant entre Taka 1 et le Trou de Fer classique.
Particularités de la course
Bras Mazerin est l’entrée naturelle pour accéder au Trou de Fer, la voie classique Bras de Caverne semble en réalité un affluent. Les encaissements rencontrés avant le grand cassé du Trou de Fer sont identiques au début du Corridor de Bras de Caverne. Comme pour la voie classique de Bras de Caverne, il est préférable d’entamer cette course avec un débit dans le premier cassé très faible (si le R2 ne coule pas, les encaissements en aval sont plus abordables…).
Le parcours est progressif, aquatique et plus technique que la voie classique » Trou de Fer par Bras de Caverne « . Dans cette ravine, la Néoprène se met dés le premier relais. Nous vous conseillons le parcours sur deux jours, avec bivouac au fond du Trou de Fer pour répartir équitablement l’effort, (même bivouac que Trou de Fer par Bras de Caverne). En bas du grand cassé de Mazerin (270 m), remonter en rive gauche la sente menant au plateau et au bloc qui constitue le bivouac commun aux deux courses.
R3 : progresser en rive gauche sur la terrasse de réception de R2
(environ.30 m) jusqu’à la main courante d’accès sur gros bloc.
Équipé lors d’une crue, le départ de R4 est très excentré de la cascade principale.
R5 : Facultatif (shunt rive gauche).
R7 : Si le débit est important deux déviations sont possibles pour rejoindre le R8.
Guidé possible.
R9 : peut se sauter (19 m) mais cela reste un saut engagé.
Il n’y a qu’une petite portion du bassin en bas à droite qui offre suffisamment de fond et il faut bien pousser pour l’atteindre. Rater son appel est interdit !
R10 : La main courante d’accès est rappelable en 2 fois, au départ et au milieu.
Les déviations dans R10 sont facultatives par petit niveau et peu chargé.
R11 : Ligne à finir de purger, légers frottements.
R12 : Deux déviations pour l’équipeur jusqu’à R13.
R13 : La déviation sous le départ de R13 est à prendre impérativement
si vous voulez attraper le R14 100 m plus bas sans effort !
Prévoir de protéger la corde sous le relais le temps de l’utilisation de la déviation par l’équipeur.
R14 : Ne pas stationner à nombreux sur ce relais afin de ménager les ancrages plantés
dans de la roche de piètre qualité. La ligne de R14 passe de rive droite à rive gauche
avec une grosse terrasse intermédiaire. Il est donc impératif de bien
se placer pour rappeler les cordes afin d’éviter les coincements sur
la terrasse (remonter l’éboulis rive gauche pour rappeler la corde en pied de cascade).
R15 : rappel d’entrée dans le Corridor de Bras de caverne.
À partir de ce rappel, la progression est commune à Trou de Fer par Bras de caverne
Canyon Bras Mazerin – Trou de fer
Notre avis
Une façon différente et plus naturelle d’accéder au Trou de Fer.
Le Trou de Fer par Mazerin est un parcours plus complet et varié que l’entrée par Bras de Caverne. Le canyon est aquatique et technique. Les points de vue sont exceptionnels et se dévoilent au dernier moment, au détour d’un virage ou à la sortie d’un encaissement.
Quant à la descente dans le Trou de Fer (second cassé) attendez-vous à être mystifié !
Situation :
Carte IGN au 1/25 000, N° 4402 RT Saint-Denis- Cirque de Mafate et Salazie.
Accés :
Aval : identique à l’accès aval au Trou de Fer par Bras de Caverne.
Sur le D48 en direction de Salazie, chercher 250 m avant la route menant au lieu-dit » camp Lilas « , une ravine sèche.
Cette ravine sèche s’élève dans le travers à proximité de cases, au point coté 422 sur la carte (pont).
Remonter les blocs dans cette petite ravine pendant environ 100 m jusqu’à un sentier bien marqué en rive droite.
Suivre ensuite celui-ci jusqu’à l’Ilet du Bras de Caverne (ancien village).
Amont : se garer à la 1re barrière ONF sur la route forestière de Bébour-Bélouve.
Au fond du parking, prendre le nouveau chemin en rive droite de ravine Mazerin (Coteau Monique). Suivre le sentier jusqu’à un croisement. Prendre à gauche pour accéder à la ravine en contrebas et progresser dans celle-ci jusqu’au 1er rappel (environ 450 mètres)
Caractéristiques
Longueur : 3 900 m
Temps d’approche : 1 h 30
Temps de parcours : 1 ou 2 jours
Dénivelé : 950 m
Temps de retour : 2 h 00
Alt. Arrivée : 430 m
Navette voiture : 2 h 00
Total : 2 jours (conseillé) ou 1 jour
Sortie
La sortie de Mazerin est identique à la sortie du Trou de Fer par Bras de Caverne.
Le sentier braco démarre en rive gauche à l’ancien ilet Bras de caverne (cabane braco) au pied du Pic Sans Nom.
Équipement en place
Tout est sur goujons de 8 ou 10 mm.
L’équipement est confort pour de possibles encadrements.
La plupart des relais sont sur triples points. Les descentes comportent de nombreux déviateurs dont certains qu’il ne faut surtout pas shunter même par tout petit niveau.
Temps
À titre indicatif pour une équipe de 4 canyonnistes très bons pratiquants :
Accés : 1 heure 30
1er cassé : 1 heure
De la base du 1er cassé au sommet de la seconde rupture : 4 heures.
2e cassé (Trou de Fer) : 2 heures
Corridor de Bras de Caverne : 2 heures 30
Chemin de sortie : 2 heures
Informations
Topos actualisés des plus beaux canyons de l’île de la Réunion dans le topo guide Ric à Ric.
Contact : Emeric au 02 62 33 25 38 ou par mail : ricaric@canyonreunion.com