Extrait d’article de Spéléo Magazine n°43

Exploration sous la jungle.

Décernés depuis maintenant dix ans par la société Expé et Spéléo, les Bourses Expé/Spéléo soutiennent l’esprit d’aventure. En 2001, le projet d’expédition  » Papouasie 2002  » était retenu et recevait l’une des cinq dernières bourses à être attribuées en francs…

Puits d'entrée du Gouffre Waran, environ 25m, la taille des troncs en Mikado en dit long sur la violence des crues tropicales... Aux dernières nouvelles , l'expé Papou 2003 vient d'achever son exploration vers la cote -190 m

La Papouasie Nouvelle-Guinée, depuis les premières explorations du début des années quatre-vingt, fait rêver bon nombre de spéléos français et étrangers. La magie des lieux, l’éloignement extrême, l’importance de la logistique et la rudesse des conditions sous terre comme en forêt font de l’exploration dans ce pays un must. Le seul inconvénient majeur reste le budget qui, à moins d’avoir une fortune personnelle, impose des restrictions le restant de l’année aux pauvres spéléos que nous sommes !

Comme prévu, la région Midi-Py a pris le relais de Languedoc-Roussillon pour organiser l’expédition en Papouasie de cette année 2002. Le noyau dur de l’équipe vient des départements d’Ariège et de Haute-Garonne. Pour pallier le manque d’effectif, nous appelons des amis spéléologues plus lointains : un Ardéchois, deux Espagnols, deux Polonais et deux Australiens. L’équipe finale comprendra 17 membres ayant tous une bonne expérience de l’exploration souterraine et des expéditions lointaines.

L’expédition de 2002 s’inscrit dans la continuité des précédentes. Elle apporte sa part à la lente construction des réseaux karstiques existant sous le massif des Nakanai. Mon objectif est ici de vous faire partager quelques moments forts et de découvrir l’ambiance propre aux expéditions  » Papous « .

L’équipe est arrivée en deux temps sur l’île de Nouvelle-Bretagne. Le 18 janvier 2002 en fin de matinée, je reçois un coup de fil de Buldo. Il est à Kokopo avec la première partie de l’équipe :  » Salut Phil, tout est en ordre. Nous n’avons perdu aucun bagage. Attention aux GPS dans les bagages à main, ils nous ont posé des problèmes. Idem avec le téléphone Satellite. N’amenez avec vous que des dollars, les euros ils ne connaissent pas encore ici ! À la semaine prochaine.  »

Tout commence…

Trouver 10 000 dollars en Ariège au dernier moment est une vraie gageure ! Dernières vérifications sur les bagages, ne rien oublier, ne pas dépasser les trente kilogrammes autorisés. Demain direction Toulouse. Premier avion, premiers déboires ! Dix minutes avant l’embarquement, on nous appelle au micro pour descendre rejoindre nos bagages. Les rayons X ont détecté du matériel suspect et on nous demande de les ouvrir pour vérification !

Après le  » 11 septembre « , les lampes acétylène en aluminium, les systèmes Nicola et les GPS… Cela faisait beaucoup ! Une bonne demi-heure plus tard, on embarque enfin sous le regard réprobateur du commandant de bord et des passagers en correspondance.

23 heures de vol et quatre avions plus tard, nous sommes à Kokopo. Thierry nous attend pour rejoindre le reste de l’équipe dans la maison louée. À voir son teint et sa tenue, l’animal s’est adapté au rythme local !

En ce qui nous concerne, le décalage horaire et le brusque changement de température nous plongent dans une torpeur qui n’appartient qu’à nous !

Répartition des rôles

Aussitôt sur place, le premier groupe s’est divisé pour plus d’efficacité dans la phase préparatoire :

– Gérard et Raphi sont directement partis sur Kimbé récupérer le matériel stocké l’an dernier.
Ils l’ont ensuite acheminé sur le village de Bairaman par transport aérien.
– Le gros de l’équipe est monté au nord, sur Rabaul-Kokopo afin d’assurer un début de contact avec
les autorités locales, de décider de la stratégie avec le pilote de l’hélicoptère et de négocier un
hébergement susceptible d’accueillir l’équipe avec le matériel.

Pendant que certains s’approvisionnent en nourritures et en matériel pour les quatre semaines à vivre en forêt, Bernard, Olivier, Alfredo et Jean-Marc embarquent le samedi 19 janvier au petit matin à bord de l’hélicoptère avec le minimum vital en direction des hauts plateaux de la Bairaman. Leur objectif est de rejoindre le point repéré pour l’installation du camp de base, sur les bords du plateau et de préparer une véritable DZ pour accueillir les suivants. Jean-Marc se souviendra longtemps de son arrivée sur le massif ! Le pilote n’ayant, bien sûr, pas trouvé de clairière pour se poser, ils sont redescendus dans les gorges afin de d’alléger encore l’appareil en abandonnant du matériel et en démontant les portes de l’objet volant. Ils n’avaient pourtant vraiment rien de superflu dans leurs bagages ! L’appareil ainsi délesté a pu rester en vol stationnaire au-dessus de la forêt, sur une crête légèrement dégarnie. Nos gaillards ont ensuite jeté le matériel dans la jungle et sauté les uns derrière les autres, en espérant se recevoir correctement ! Une expédition ne tient vraiment pas à grand-chose. Des dommages à la tronçonneuse ou au téléphone satellite nous auraient causés de grosses inquiétudes pour la suite de notre séjour.

Dès que vivres et matériels auront été achetés, pesés et numérotés sur Kokopo, Marcin et Tomeck achemineront l’ensemble sur Bairaman par bateau.

En même temps, l’équipe sentier, Enrique, Stéph et Franck, rejoindra le village de Maïto à six heures de marche de Bairaman et commencera la taille du sentier pour atteindre le camp de base.

La communication est une condition indispensable à la réussite de l’expédition. Pour cela les différentes équipes sont en relation entre elles grâce à des talkies-walkies particulièrement puissants. Les vacations radios entre le plateau et le bord de mer distant de 25 kilomètres et par téléphone satellite entre le plateau et Kokopo seront d’une qualité parfaite. 5 sur 5, chef !

Surprise de taille

Le premier contact physique avec la montagne nous réserve une surprise de taille : ici, comme sur la Galowé, la forêt primaire a été littéralement détruite par le cyclone de 1997. Les repérages aériens du massif, deux ans auparavant, n’ont pas permis d’apercevoir les changements au sol. En détruisant les grands arbres, le cyclone a laissé la lumière s’infiltrer jusqu’au sol, favorisant la pousse d’une petite végétation très dense et compacte. Il faut rajouter un relief escarpé, des chablis de grands troncs et un terrain détrempé en quasi-permanence et vous conviendrez aisément des difficultés que nous avons dû surmonter. Devant l’ampleur de la tâche, nous avons aussitôt revu nos échelles de distance à la baisse : un objectif à moins d’un kilomètre du camp nous demandait de pratiquement deux jours de taille à la machette !

Les déplacements vont donc devenir la difficulté majeure de l’expédition Effectivement après quatre jours d’une taille difficile dans la jungle, l’équipe du sentier est encore très loin du camp. Afin de gagner un temps précieux, nous décidons alors d’héliporter toute l’équipe avec le matériel. En une seule journée, en jonglant avec le mauvais temps depuis l’aube, nous nous retrouvons tous au camp après sept rotations d’hélicoptère.

Grâce à l’efficacité des premiers arrivés, aux jalons posés par les nombreuses expéditions précédentes mais aussi en comptant avec la chance : nous n’avons perdu aucun bagage lors du voyage ; trois jours après son départ de Toulouse, la seconde partie de l’équipe était à Bairaman pour l’héliportage, du jamais vu !

Les participants de l'expédition Papou 2002 De gauche à droite et d'arrière en avant : Castello Georges, Moreno Alfrédo, Brehier Franck, Guérard Olivier, Fiedorrowicz Tomasz, Bence Philippe, Honiat Jean-Marc, Larroque Thierry, Pius (Papou), Warild Al, Guillot Florence, Turock Greg, Orgando Enrique, Tourte Bernard, Philippe, Léo, Rizzo Nathalie, Jhon, Alois, Bernard Maifret, Stéphane, Raphaël Sauzeat, Gala Marcin.
Des cartes au 1/100 000

Trois nouveaux jours sont nécessaires pour construire un camp digne de ce nom. Les choses sérieuses peuvent commencer.    Par petits groupes, nous taillons des sentes en direction des objectifs pointés au cours de l’année 2000 malgré les anomalies topographiques de nos cartes aux cent millièmes, sans compter aussi avec toutes les dépressions que nous rencontrons dans nos périples pédestres.

Malgré tout, nous avons prospecté le talweg le plus marqué du plateau sur six kilomètres. Atteint les points n° 5, n° 10, n° 9, n° 11 et nous nous sommes rendus dans les grosses dolines à deux kilomètres du point n° 7. Nous avons aperçu beaucoup de pertes obstruées par des éboulis ; les points repérés que nous avons pu atteindre se sont tous révélés tous décevants. Seule la prospection systématique a donné quelques résultats :

– Le grand talweg a livré six entrées dont trois donnant sur des réseaux importants : Maïto, Serenguna, Salangane ;

– La zone du point 7 a permis de découvrir deux gouffres majeurs : Ummaguma et Waran.

Dix jours après notre largage sur le massif, nous avons eu l’heureuse surprise de voir arriver huit Papous du village de Maito. L’arrivée des Papous, nous n’y croyions plus ! Pourtant ce samedi 9 ils sont bien là devant le camp de base. Enrique et Georges qui les ont accueillis en sont les premiers surpris. Sans être jamais venu, sans boussole ou autre GPS, en ayant simplement vu la position du camp sur une carte au village de Maïto ils ont réussi à nous rejoindre. Pourtant lors de la première tentative avec l’équipe sentier, ils avaient renoncé et étaient retournés au village. Cette fois leurs provisions devaient être plus conséquentes. Ils ont pourtant failli renoncer une fois encore car ils étaient à court de nourriture et ils allaient faire demi-tour le lendemain. Par chance, Enrique était au camp pour soigner son dos, ils ont entendu le groupe électrogène dans la nuit et ont finalement pu arriver jusqu’à nous. Six d’entre eux nous accompagneront jusqu’à la fin. Leur aide à la machette et au portage nous a grandement facilité la tâche sur les derniers jours.

Sur le plan médical

Même si nous avons tous eu quelques petits soucis, coupures et autres plaies, nous n’avons heureusement pas eu de problèmes graves à gérer. Les plus importants ont été une coupure profonde à la main, un ulcère tropical au bras, une infection à l’œil, de fortes douleurs lombaires et un début d’infection généralisée en fin de séjour. Notre assistance par le biais des équipes du SAMU 31 via le satellite s’est révélée efficace et adaptée ce type d’expédition. Début comique : dans les bureaux du SAMU de la Haute-Garonne, seuls deux médecins étaient bien au fait du partenariat mis en place avec notre expédition. Lors de notre premier appel pour une importante coupure à la main, nous nous présentons et donnons toutes les informations sur les circonstances de l’accident et sur l’état de la plaie, le médecin régulateur de son côté prend note. Au bout de quelques minutes, il nous demande très sérieusement :  » Mais où êtes-vous exactement dans Toulouse ?  » Par la suite, leur service a toujours été à la hauteur et adapté à nos demandes.

Sur le plan spéléo

Nous n’avons malheureusement pas pu dépasser la cote des -250 m, dans chaque cavité, siphons et trémies nous ont systématiquement fait obstacle. Seule exception : Waran exploré au cours des derniers jours une cavité prometteuse avec un arrêt sur rien vers -220 mètres. Cette cavité reste à revoir, néanmoins la situation de l’entrée et la configuration des galeries font que les crues constituent un risque extrêmement important.

Nous avons eu la chance d’être les premiers à mettre les pieds sur cette zone des monts Nakanai, et nous avons à peine levé le voile sur son potentiel d’exploration. Nous commençons à entr’apercevoir le fonctionnement hydrologique de cette zone. En 2003, deux d’entre nous retourneront là-bas avec une nouvelle équipe d’Ile-de-France pour poursuivre le travail commencé. Le futur camp sera proche de la perte n° 7. On vous tiendra au courant de la suite…

Des conditions extrêmes…

Vivre en Nouvelle-Bretagne c’est s’exposer à la démesure du milieu naturel :

La mousson qui déverse des quantités phénoménales d’eau sur l’île. Valeurs mesurées à Pomio, sur la côte : entre 3 et 10 m de précipitation par an. Une estimation sur le massif de Muruk donne 12,5 m de précipitations annuelles !

Les cyclones qui, comme celui de 1997, provoquent des dégâts importants sur la forêt.

Les tremblements de terre : la Nouvelle-Bretagne appartient à une des zones les plus sismiques de la planète : la ceinture de feu du Pacifique. Cette zone concentre 5 à 10 % de l’activité sismique mondiale. Durant notre séjour, nous avons ressenti de nombreuses secousses, une par semaine au minimum. La plus violente s’est produite dans la nuit du 6 au 7 février. Informations prises auprès de l’observatoire volcanologique de Rabaul, il était de magnitude 6,6 et son centre était à moins de 50 km de notre camp.

Les raz de marée : ils sont induits par un tremblement de terre de magnitude supérieure à 7 et dont l’épicentre est en mer. L’onde crée une vague dévastatrice à son arrivée sur les côtes.

Un bon point tout de même, les températures sont clémentes : entre 15 et 30 degrés sur le massif et malgré les croyances des Papous, il n’a jamais neigé là-haut !

Pour des informations techniques sur le massif et la logistique, vous consulterez

la remarquable synthèse  » Papouasie, 20 ans d’explos  » éditée par l’association Hémisphère Sud.
Pour un compte rendu précis  » Exploration sous la jungle 2002  » et le rapport d’expédition bientôt disponible à la CREI.

Photos : Bernard Tourte, Tomeck Fiederoswski, Franc Bréhier, Phil Bence.