
Extrait d’article de Spéléo Magazine n°47
Espagne, août 2003, massif des Picos, une plongée à l’anglaise Franco-Espagnol qui atteste là, d’un sens de l’accueil, d’une conception de l’exploration spéléologique et de la collaboration entre équipes, dont on gagnerait à s’inspirer de ce côté-ci des Pyrénées.
Voici relaté ici le carnet de bord de ces plongées dans l’intimité de la roche.
par : Frank Vasseur (Golosson Aguaron) Photo : Xesus Manteca
2 août 2003, Massif des Picos de Europa.
Un nom magique qui sonne juste. Nous débarquons avec Guillaume hagards, après une longue journée de route à surfer sur les bouchons. Un plongeur asturien devrait nous rejoindre dans l’après-midi.
Finalement, l’équipe « Ensame Aguaron » presque au complet nous accueille. Il s’agit d’un groupe d’une demi-douzaine de membres, qui repose sur la collaboration et la mise en commun des moyens de plongeurs issus de clubs différents. Ils nous entraînent illico festoyer au « Paréon » une sacrément bonne adresse. La glace est rompue, pulvérisée.
3 août, la résurgence de Cuelebre se jette dans le Rio Deva, sous le massif oriental des Picos.
H.uenti’l Cuelebre, avait été plongée par André Pahud et Cathy Loumont en 1978 jusqu’à –44, puis dernièrement jusqu’à –55 par Javier Lusarreta.
Aujourd’hui nous plongeons ensemble, dans une source où ils travaillent depuis plusieurs années.
Nos collègues occidentaux attestent là d’un sens de l’accueil, d’une conception de l’exploration spéléologique et de la collaboration entre équipes, dont on gagnerait à s’inspirer de ce côté-ci des Pyrénées.
Un filet d’onde pure
Au bord du Rio Deva, à l’aplomb d’une haute lézarde exhalant un filet d’onde pure, s’étale une vingtaine de bouteilles et autres menus accessoires associés.
Juanjo et Oscar plongent en premier. Ils inspectent les deux cloches d’air situées en amont et en aval d’une étroiture, à 60 mètres de l’entrée. Ce passage, bien que ponctuel, impose la configuration latérale (bouteilles le long du corps).
Ils reviennent bredouille. On ne shuntera pas ce passage par une galerie supérieure. Teca emporte deux bouteilles d’oxygène à cent mètres de l’entrée, là où se dérouleront les derniers paliers.
Javier est en faction, à l’aplomb du ressaut qui domine l’étroit méandre, baigné par la vasque du siphon. Il fait passer les bouteilles aux collègues, assure les prises pour la descente, tend une main salvatrice pour la remontée. C’est lui qui a été le plus loin dans ce siphon. Il nous a expliqué la configuration de la zone terminale, montré son croquis d’exploration, détaillé le déroulement de sa dernière plongée.
Un minimum d’humilité
Avec Guillaume nous fermons la marche pour une première approche de la caverne. La journée de route d’hier, cumulée à la soirée au « Paréon » impose un minimum d’humilité dans la définition des objectifs. La source est sympathiquement surprenante. Nous visualisons enfin ce que les informations et la topographie transmises par Josep Guarro, avaient permis d’imaginer.
Le méandre d’entrée malcommode mais esthétique, l’étroiture verticale mais négociable, le profil en « yo-yo » mais de faible ampleur.
100 mètres de l’entrée, terminus topo. Raccord du fil métré. À cet endroit, la section diminue. On évolue dans un haut méandre. Guillaume préfère ne pas encombrer cet espace réduit et sinueux, et fait demi-tour.
Effectivement multiplier les plongeurs présenterait uniquement des inconvénients. Le conduit se réduit à une circonférence d’un petit mètre, abruptement surcreusé sur deux à trois mètres, au-delà desquels on devinerait un volume inférieur. Tourne, tourne, tourne, tourne encore, toujours du même côté, jusqu’à déboucher en tête d’un ressaut de quatre mètres.
Teca baptisera ce passage « el caracol » (l’escargot). Le fil d’Ariane se prolonge dans la partie supérieure réduite encore et hérissée de lames d’érosion.
Plus ça va, moins ça va !
Peu enclin à s’engager par cette voie, j’opte pour le fond. Un petit plongeon, pour atterrir à –32 sur une dune de sable inclinée. Vers le fond, c’est plus que confortable. Vers l’amont, ça pince un peu, mais plus avenant que la voie supérieure.
On verra ça une autre fois. J’abandonne la bouteille relais sur le dévidoir en tête du ressaut, puis retour en topographiant la partie équipée aujourd’hui.
4 août, nous ne sommes aujourd’hui que deux. Guillaume apporte un précieux et sérieux coup de main au portage. L’objectif consiste à trouver un passage inférieur pour shunter le « Caracol » et toute la partie supérieure du méandre noyé.
Je retourne au terminus d’hier, descends le dévidoir et la bouteille relais au sol et visualise le passage. Puis, retour en amont au début du méandre pour fouiner la partie inférieure. Effectivement, après un rétrécissement rocheux, une pente de sable augure un élargissement et… bingo ! bientôt le faisceau révèle la bouteille et le dévidoir.
La plongée se termine par l’équipement jusqu’au terminus de 1978, à –40 et le complément topographique.
5 août, cette fois ça y est, la première partie de la cavité est « maîtrisée » les passages clés sont connus, les bouteilles de décompression installées, le fil rééquipé, l’ensemble topographié, les tables de décompression recalculées en fonction de la physionomie
Christian, Guillaume et Kino sont là pour assister la mise à l’eau. Teca fera l’assistance et prendra des photos.
Après un rituel d’équipement torride et malaisé dans l’étroit méandre de départ, l’immersion devient agréable. À –40, une dizaine de mètres à l’horizontale, puis un conduit fortement incliné dégringole jusqu’au terminus du fil. On poursuit dans le même ton jusqu’à un brusque virage au-dessus d’une profonde marmite. Glissade en douceur jusqu’à une fracture, à –65, le point bas du siphon.
Flirte avec la pression limite
Parti pour une profonde planifiée pour –80 mètres maximum, voilà qu’il faut négocier un passage étroit à –65 pour… remonter ensuite régulièrement, progressivement. À –54, le siphon change à nouveau de section. Je domine une profonde marmite. Circulaire, elle se déforme à l’extrémité opposée, mais rien de pénétrable.
La suite est au sol. À –58, un lit de blocs glisse dans une étroite fracture. À l’égyptienne, ça passe. Encore un petit mètre et l’horizon s’évase en remontant sensiblement. Ce sera tout pour aujourd’hui, car les manomètres flirtent avec la pression limite.
Retour sans encombres. Le paysage défile dans l’autre sens, les relevés topos garnissent l’ardoise. Les premiers paliers débutent dans la purée de pois, puis s’enchaînent dans un univers plus cristallin. La variété du conduit égaie ces longues stations solitaires.
À –6, Teca fait « la jonction ». Échanges de signes, approfondis par des schémas et quelques lignes sur l’ardoise, quelques éclairs de flashes. Il se charge de deux bouteilles et effectue une navette jusqu’à la sortie.
au retour de la pointe dans la « touille ».