Extrait de Spéléo Magazine n°45

Une alternative à la canicule !


Texte : Natacha boutkevich
Photos : Serge Caillault

L’été 2003 a été un véritable bonheur pour les spéléos, une sécheresse qui n’en finit pas, les réseaux qui se tarissent peu à peu laissant place à des conduits jusqu’alors inaccessibles. Une véritable aubaine qui nous a permit de visiter les galeries profondes de la grotte de Bournillon située dans le massif du Vercors. Galeries que personne n’avait revue depuis la dernière sécheresse qui remonte à 1985. Au cours d’une de nos visites Natacha nous accompagna à l’improviste. Elle raconte son expérience.

Lors d’une première expérience spéléologique, qu’a-t-on en tête ? Une curiosité pour les origines du monde ? Une envie de se confronter à la roche souterraine ? Ou tout simplement une attirance pour l’esthétique des stalactites ?

Je me poserai ces questions plus tard, car à l’entrée de la grotte de Bournillon, je suis loin d’imaginer une expérience souterraine. Mon objectif était simplement de profiter de la fraîcheur du porche de la grotte et d’éventuellement faire une petite incursion à l’intérieur afin de satisfaire ma curiosité. Pour preuve du caractère improvisé de cette exploration, pendant que mes guides, spéléologues expérimentés, enfilent leurs combinaisons, bottes et casques, je me contenterai, pour tout équipement, d’une paire de basket, d’un pull et d’une frontale !

Une luminosité irréelle

Sous le porche, le spectacle est déjà grandiose, le lichen rose tapissant la voûte dégage une luminosité irréelle et invite à aller plus loin. Je suis partagée, j’éprouve une certaine frustration de ne pas être équipée et dans le même temps, je me dis qu’il me suffira de m’aventurer à peine dans la grotte pour être satisfaite. Mais voici que Serge m’invite à faire un bout de chemin, en précisant qu’il y a un passage difficile au départ.

Difficile… Vertigineux, oui ! je me colle à la paroi, suivant les prises que l’on m’indique, ne regardant pas le petit lac, quelques mètres plus bas. Une fois passée, je suis assez contente de moi, mais j’ai une appréhension pour le retour !

Dès le départ, je cherche mon équilibre. Je me concentre sur chacun de mes pas, tentant de m’habituer à la pénombre. Les spéléologues sont bientôt loin devant, marchant avec aisance, tandis que j’escalade, souvent accroupie, les gros blocs de rocher.  » Il n’y a pas de technique, cherche le chemin le plus simple  » me dit Serge. Dès que je peine, trébuche, il me rappelle d’aller au plus simple, ajoutant même  » la spéléo est un sport de paresseux « . Quelle sagesse acquiert-on au fond des gouffres ?

Sensible au mystère

En ce qui me concerne, je me retrouve confrontée au minéral, à sa dureté, tant dans la difficulté physique de la marche, que dans le sentiment du chaos environnant. Il faut s’adapter à l’élément, se familiariser avec le rocher qui ne donne pas si facilement ses clés. Dans ce milieu austère et froid, qui pourrait être repoussant, je suis pourtant sensible à ses mystères. Si je n’éprouve aucun plaisir à évoluer sur ces blocs glissants, je suis cependant attirée par ce monde minéral, dont la compréhension s’obtient grâce à l’effort, voire même un certain état d’esprit. Ainsi, quand Serge me demande si je souhaite continuer, je suis prête à poursuivre cette expérience intérieure.
Expérience intérieure

J’ai une pensée pour ces hommes qui, depuis la nuit des temps, affrontent l’obscurité silencieuse des grottes, à les animer de leurs rites et de leurs peintures. Je suis imprégnée de ces mythes, et cette exploration me plonge autant dans une expérience personnelle que dans la découverte de beautés minérales.

Celles-ci ne tardent pas à se révéler : je découvre le Village Nègre, concrétions noires et lisses. J’admire la lenteur créative de la nature, la patience du rocher et de l’eau.

Plus loin, une croix gravée au sol, indique la fin de la balade. Seuls les plongeurs spéléos peuvent continuer et ils sont peu nombreux, me dit-on. La sécheresse a créé des conditions exceptionnelles permettant l’exploration de galeries et de salles habituellement immergées. À partir de là, peu de regards se sont posés sur ce que nous allons rencontrer. Pour ma part, l’excitation est double : la découverte est constante et en plus, l’exploration des lieux a quelque chose d’exceptionnel, n’étant possible que très occasionnellement.

Guidés par le fil d’Ariane

Nous entrons dans le  » Labyrinthe « , guidés par le fil d’Ariane des plongeurs, mais il ne suffit pas pour nous orienter sur le bon chemin. Chacun part dans une direction, je ne bouge pas et j’écoute. Les voix se perdent dans les galeries et trompent mes repères. Nous sommes bien dans les entrailles de la terre qui se joue de nous et nous égare dans les méandres de ses boyaux. La question de l’orientation reste un mystère pour moi. Là où je ne vois que des impasses, il y a en réalité de nombreux orifices et l’exploration des lieux m’apparaît complexe. Pourquoi prendre telle direction, telle galerie plutôt qu’une autre ? Serge me raconte que le spéléologue se laisse guider par les courants d’air. Ainsi un souffle ténu est le fil conducteur…

Lovée tout contre la paroi

Nous nous glissons, enfin, dans une galerie étroite, nous rampons, mon corps est lourd et maladroit. Heureusement pour ma tête et mes coudes, mon équipement de base a été enrichi d’un casque et d’une polaire, il n’y a que les genoux qui souffrent ! Bientôt, le boyau se resserre autour de moi, je ne peux plus avancer. Lovée tout contre la paroi, je me tourne et me laisse glisser. Je rampe centimètre par centimètre, je ne peux être plus près du rocher. Coincée là, au cœur de la roche, dans cette intimité avec la pierre, je pense aux six cents mètres de montagne au-dessus de ma tête. La grotte est le lieu de passage entre deux mondes, que nous réserve l’au-delà ?

Et la réponse vient, peu après la sortie du goulet. Je me laisse surprendre par la beauté du paysage minéral. C’est une véritable rencontre, comme si la grotte nous offrait ce qu’elle a de plus précieux parce qu’on avait réussi à venir jusqu’ici. Il y a là, si loin du monde extérieur, une connivence, une intimité avec la grotte. Les galets, déposés par les torrents, ont creusé, dans un tourbillon, de petits gours d’une rondeur parfaite ; la force des courants a marqué la roche de vagues successives, martelant la pierre, lui façonnant une peau d’écailles.

L’eau a lavé le rocher, mettant à nu sa blancheur originelle, lisse comme l’ivoire. Par endroits, il prend des teintes d’ocre, de rouille ou de terre brûlée. La contemplation de ce paysage sculpté par les eaux est la contemplation de l’œuvre du temps, des mouvements répétitifs des courants, des frottements de la pierre, de la patiente érosion du minéral. On est là, dans la conscience du processus d’érosion et de la beauté qu’il fait naître.

La marche de retour est longue et fastidieuse, je glisse sur la roche humide, plonge les pieds dans l’eau transparente…

À trop faire attention à chacun de mes pas, j’ai l’impression de ne plus rien voir. La fatigue et l’ambiance créée par la pénombre me font avancer d’une manière hypnotique, j’ai hâte de rejoindre la sortie. Oubliant quelques minutes la fatigue, je goûte aux ténèbres et au silence absolu qui m’enveloppent dans un gouffre sans fond. Je n’ai jamais été confrontée à une telle profondeur qui suspend l’instant dans une froide nuit minérale.

Avant de retrouver la lumière, le monde extérieur se manifeste par une haleine chaude, réconfortante. Dehors nous sortons de la magie de l’obscurité minérale, pour entrer dans celle de la lueur du soleil couchant sur le porche d’entrée.